http://www.classmates.com/directory/public/memberprofile/list.htm?regId=8692739621Judo International: Voix du Japon par Gotaro Ogawa

Défaite japonaise : Que faire après Londres?

Les Pronostics optimistes et la réalité

Amertume, déception, critiques, voire même colère. Tels sont les sentiments japonais
à propos des résultats du judo à Londres. En effet, les garçons japonais n'ont gagné aucune médaille d'or à Londres. « Zéro or » écrivent les médias ici, tout en qualifiant la défaite de manière sensationnelle comme un « déclin » ou une « chute » du judo nippon. En effet c'était la première expérience de ce type pour le Japon dans l'histoire du judo masculin aux JO. Quant aux filles, Kaori Matsumoto(- 57kg) a obtenu comme prévu la médaille d'or. Mais Tomoko Fukumi(-48kg), Misato Nakamura(-52kg) et Yoshie Ueno( -63kg) censées être plus proches de l'or n'y sont pas parvenues. Au total l'équipe nippone a gagné un or, trois argents et trois bronzes seulement. Au nombre de médailles d'or, le Japon se trouve ainsi derrière la Russie, la France et la Corée du sud.
Haruki Uemura, Président de la Fédération japonaise de judo, qui s'était vu assigner le rôle de chef de la Délégation japonaise aux JO, avait déclaré croire possible de gagner plusieurs médailles d'or au judo. Le public l'avait cru. Dans l'ensemble des jeux, la délégation japonaise a gagné le plus grand nombre total de médailles (ors, argents, bronzes toutes comprises) qu'elle n'avait jamais eues aux Jeux olympiques. Ce qui a donc vivement contrasté avec la cuisante défaite au judo japonais .
Pourtant si l'on voit des choses objectivement, ce n'était pas un résultat surprenant. Tout d'abord il y a cette réalité qu'au judo aussi les meilleurs athlètes du monde se disputent les médailles avec très peu de différence de capacité. Avant les Jeux de Londres, on ne voyait pas de vainqueurs sûrs dans chaque catégorie sauf, peut-être, Teddy Riner(+100kg) de France. D'ailleurs les garçons japonais avait essuyé déjà en 2009 un « zéro or » aux Mondiaux à Rotterdam. On parlait, déjà à l'époque, du déclin du judo nippon. Si la déception est grande au Japon c'est plutôt parce que les dirigeants de la Fédération japonaise avait lancé des pronostics optimistes et que le public les avait cru sans se rendre compte de la réalité mondiale.

Quels furent les problèmes chez les Japonais ?

« Le résultat reflète le niveau actuel de nos garçons, déclare Yasuhiro Yamashita au journal Asahi Shinbun au lendemain des jeux de judo, La possibilité du « Zéro or » n'avait pas été exclue...Les Japonais n'ont pas réussi à faire des progrès par rapport à leurs rivaux étrangers. Il paraît aussi qu'ils n'ont pas pu atteindre leur meilleure condition physique au jour du combat. Vu leurs performances je pense qu'ils n'ont pas suffisamment étudié leurs rivaux non plus.... Et surtout l'esprit combatif leur manquait... Il est nécessaire de faire des analyses sérieuses sur les causes de ces problèmes... »
A mon avis, il y a deux genres de problèmes: d'abord, ce sont des problèmes d'ordre japonais, ensuite, des problèmes de caractère international. Parlons pour le moment des premiers.
Le système d'entraînement japonais s'est construit autour du spiritualisme et de l'organisation d'une éducation dirigiste. D'abord c'est l'exigence de gagner absolument la médaille d'or. Pour atteindre cet objectif, if faudrait s'entraîner tout le temps au maximum. Il faut écouter les entraîneurs et les dirigeants et s'efforcer de devenir plus fort. Cette méthode d'éducation conduit à penser qu'une médaille autre que l'or n'a pas grande valeur. Les Japonais qui n'ont pas pu obtenir l'or sont généralement mécontents. Par exemple, écoutons quelques-uns de nos médaillés non or qui ont répondu à la presse après leurs combats avec un visage et une voix funèbres :
« Je suis encore faible, très insuffisant. » dit Riki Nakaya( -73kg, argent ), alors que Masashi Nishiyama( -90kg, bronze) murmure  « Il est humiliant d'être battu. Un grand chagrin, un très grand chagrin! » Ils sont sous la pression d'obtenir l'or, comme une hantise.  L'argent ou le bronze ne semble pas leur plaire. Certains disent que l'esprit de samuraï est beau. D'autres pensent que c'est plutôt une preuve d'orgueil que de dire que la médaille autre que l'or ne vaut rien. Il faudrait, pensent-ils, les libérer de cette hantise.
L'équipe japonaise mène des séries d'entraînements collectifs intenses et rigoureux au cours des années. Et avec des tournois internationaux très fréquents, nos combattants étaient probablement très fatigués. Certains d'entre eux n'étaient pas complètement guéris de leurs blessures. En fait certains combattants se confient en ce sens. C'est peut-être pour cela que Monsieur Yamashita parle de la méforme de nos combattants.
L'études des rivaux ont été faites bien sûr mais pas, semble-t-il, de manière assez approfondie, car je voyais des Japonais mal s'adapter à la façon de combattre de leurs rivaux. On sait que les judokas étrangers sont généralement supérieurs aux Japonais en rapidité de mouvement et en force musculaire. On sait également qu'ils sont capables d'appliquer des techniques sans kumite solide. Au vu des combats à Londres, il semble que les Japonais n'étaient pas bien disposés à faire face à cette manière de combattre. Certains judokas étaient forts au newaza. Mais les Japonais, surtout masculins, n'y étaient pas bien entraînés. Anai et Kamikawa, nos poids lourds, se sont vus facilement retourner et immobiliser par leurs adversaires. Ce sont des scènes scandaleuses pour les Japonais. Or les mouvements des Japonais avaient été scrupuleusement étudiés par les étrangers. On peut se demander jusqu'à quel point les Japonais avaient étudié leurs rivaux...

« Le judo peu intéressant »

Parlons maintenant des problèmes d'ordre international. Puisqu'il s'agissait des Jeux olympiques et avec des pronostics optimistes sur le nombre de médailles d'or pour le Japon, quelques dizaines de millions de Japonais étaient devant l'écran de télévision pour regarder le judo. Mis à part la déception sur les défaites de leurs compatriotes, un grand nombre des Japonais, y compris des profanes, ont trouvé le judo peu intéressant, car il y avaient un peu trop de décisions par shido ou de décisions aux drapeaux. D'ailleurs, la bagarre de kumite de type « combat de coq », comme on dit ici, était fréquente et longue. Sur ce sujet, le « ejudo » un site internet spécialisé dans le judo (en langue japonaise) fait ce commentaire à juste titre (voir www.ejudo.info);
« Le Judo a-t-il finalement devenu plus intéressant ? La FIJ sous la directions de Vizer
a mis en place une série de changements des règles afin de rendre le judo plus attrayant aux yeux de spectateurs. La fédération mondiale y a considéré la projection comme le point central du charme du judo. A Londres ils ont aussi revalorisé la définition de Ippon. Jusqu'à Londres, les efforts de la FIJ ont produit de certains résultats positifs et le judo était devenu plus dynamique. Mais à Londres justement, on a assisté à une contre-vague: une tendance à employer des stratégies ultra-tactiques qui consistent à ne pas se faire saisir mais à saisir l'adversaire, et à appliquer des techniques pour empêcher l'attaque de celui-ci. Ces techniques sont basées sur l'étude très minutieuses des rivaux. Il est normal d'utiliser des tactiques pour gagner mais ce qu'on a vu à Londres peut nuire à un judo qui devrait plaire aux yeux de spectateurs.
Ce qui est important c'est de faire se saisir, mutuellement, pour obtenir un beau Ippon par projection. Comment pourra-t-on atteindre cet objectif ? Il est temps de proposer des idées nouvelles. »
L'autre problème sérieux concerne l'arbitrage. Dès avant Londres l'intervention du « jury » faisait l'objet de certaines critiques. On sait que cette nouvelle institution avait été instaurée pour rectifier des jugements inappropriés d'arbitres au tapis et maintenir la cohérence d'arbitrage. Mais à Londres c'était bien excessif. Les interventions trop fréquentes du jury ont eu pour résultat de nuire à la confiance dans l'arbitrage. Un jugement prononcé par l'arbitre a été trop souvent annulé ou changé par l'instruction du jury. Cela donne aussi un effet psychologique négatif sur les combattants et perturbe la stabilité de compétitions. Le pire exemple en était le quart de finale entre le Japonais Ebinuma et le Coréen Cho (catégorie -66kg). Le Yuko prononcé en faveur de Ebinuma a été annulé suite à l'intervention du jury. Le golden score s'est terminé, mais à la grande surprise des spectateurs, la décision aux drapeaux a déclaré Cho comme vainqueur, ce qui a été tout de suite contre-dit par le jury. Sous l'instruction de celui-ci, les drapeaux ont été à nouveau hissés. Cette fois, les trois arbitres ont renversé leur jugements antérieurs et reconnu Ebinuma comme vainqueur. Quelle confusion! Les millions de spectateurs japonais ont observé toute cette procédure. Ils ont eu l'impression que les arbitres étaient les marionnettes du jury. La confiance au système d'arbitrage a été quelque peu perdue. Au fond, cela touche le problème de la qualité d'arbitres. La solution devrait viser, non pas à renforcer le pouvoir du jury, qui, au contraire, devrait être réduit, mais à installer un système de stages d'arbitres intenses et constants pour améliorer leur qualité. La FIJ s'efforce en ce sens et il y a une certaine amélioration de la qualité d'arbitres, mais pas assez. Il faudra augmenter le budget et des ressources humaines pour avoir un résultat plus rapide..
  

Que doit faire le Japon?

La Fédération japonaise fait face à ces problèmes nationaux et internationaux. Sur le plan national, certains amateurs expriment le souhait que soit changée l'équipe d'entraîneurs et la méthode d'entraînement pour privilégier une approche plus rationnelle. Les milieux du judo nippon, conservateurs par nature, pourront-ils se transformer ? Au lendemain de Londres, Kazuo Yoshimura, directeur-général des entraîneurs a fait part de son intention de se démissionner tout en souhaitant de voir les deux entraîneurs-en-chef (Shinohara pour l'équipe masculine et Okada pour les filles) rester en fonction. Interviewé par la presse, Shinohara, de sa part, répond « Il aurait fallu affermir encore le côté mental... Ce que nous devrions faire maintenant, c'est de renforcer le mental et le physique de nos combattants. » Y aura-t il un changement ou pas ? Il faut attendre un peu pour savoir comment la direction de la Fédération nationale réagit à cette situation de désarroi.
Au niveau international, les tâches sont multiples. D'abord, comment réaliser un judo plus attrayant ? Ceci touche des questions de shido, kumite, Ippon, manière d'arbitrage, etc. Les Japonais ont une philosophie et des idées sur le sujet mais ont été plutôt réticents aux débats internationaux. Il y a des problèmes aussi importants relatifs à la gestion des tournois internationaux, tels que le système de classement et sa fréquence, la sélection ou la qualification des représentants nationaux pour les JO, l'organisation de la Fédération mondiale, etc. La FIJ est bien sûr le principal acteur de la gestion mondiale. Mais, de part et d'autre du monde, les judokas souvent partagent les même sentiments, et font face aux mêmes problèmes . Il faut tenir compte davantage des avis des combattants. On peut imaginer démocratiser un peu les débats sur les questions du judo afin de contribuer à la meilleure gestion d' un beau judo.
Président de la Fédération japonaise Haruki Uemura n'a céssé de lancer un message aux Japonais « Respectez la courtoisie, ambitionnez un judo visant à obtenir un Ippon par l'application d'un kumite approprié et de techniques rationnelles. » Il est temps pour les Japonais de s'exprimer sur le plan international et d'agir en étroite coopération avec des fédérations nationales. Les Français, les Russes, et tous ceux qui cherchent un beau judo, peuvent y être de très bons partenaires. Pour ce faire ils faudrait que les Japonais renforcent les ressources humaines et financières.
(août 2012)