Judo International: Voix du Japon par Gotaro Ogawa

La Courtoisie au Judo: Sa signification internationale et l’attente pour le rôle de l’université

sommaire du discours fait par Gotaro OGAWA à l'Institut national de l'éducation physique et des sports à Kanoya, le 5 décembre 2009.

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1. Le Japon en tant que puissance culturelle et les arts martiaux

Après que je suis entré au Ministère des affaires étrangères en 1968, j’ai vécu une quarantaine d’années en tant que diplomate, alternant les lieux d’activité entre le Japon et des pays étrangers dont 23 années sont passées dans sept pays différents. Ces pays sont : France, les Philippines, ancienne Union soviétique, Corée du sud, Honolulu( les Etats unis ), Cambodge et Danemark. J’ai pratiqué le judo dans chaque pays. En France, en particulier, où j’ai été posté deux fois, le judo est très populaire, et, étant jeune, j’y ai beaucoup pratiqué le judo, participant même aux quelques tournois locaux.
A l’étranger, on peut regarder son propre pays objectivement et le comparer avec d’autres pays. Ainsi à travers mes expériences, je vois mon pays comme une grande puissance avec des caractères distingués dont je peux être bien fier. On peut citer, par exemple, sa diplomatie pacifiste non-militariste unique, le haut niveau de son économie et de sa technologie, sa contribution au tiers monde avec assistance publique au développement massive et, enfin, sa culture profonde et diverse.
Parmi d’autres, l’élément culturel mérite une mention spéciale. En commençant par la culture traditionnelle comme le Noh, le Kabuki, la cérémonie du thé, ensuite, l’art culinaire japonais, dont le sushi, jusqu’à la culture populaire tels que le manga, l'animé, la mode, la musique, le haiku, les arts martiaux, il y a énormément des gens qui, de part et d’autre du monde, s’intéressent à chaque aspect de la culture nippone. Il serait difficile de trouver une nation qui détiendrait des genres culturels aussi variés qui attirent un public aussi grand que la nation japonaise. Même la France, fière d’être considérée comme une grande puissance culturellle, a, à travers des années, subi une influence culturelle japonaise dans des domaine tels que la peinture ou la cuisine.
Parmi de divers genres culturels, les arts martiaux sont à part, en ce sens qu’ils se composent de deux aspects inséparables, à savoir, l'entraînement du corps aussi bien que celui du coeur. Or dans la grande agglomération des sports, il est très rare de voir un genre sportif qui présente le côté éthique comme un élément majeur. Et c’est précisément pour cette raison que des gens du monde entier s’intéressent aux arts martiaux, voire même se décident à les praiquer. Mes propres expériences d’échanges en judo avec des nations de cultures et de niveaux de développement très variés m’ont donné l’impression que les arts martiaux ont effectivement pénétré le monde entier. En tant que Japonais, je me sens humblement fier.

2. La pénétration du Judo dans le monde et sa signification latente

C’est un fait que le judo et d’autres arts martiaux ont pénétré le monde. La Fédération internationale du Judo( FIJ ) se compose de 199 membres-organisations de différents pays ou régions, le chiffre étant plus grand que le nombre des membres de l’ONU.
Il y a quarante ans que je me suis rendu en France pour la première fois. J’étais surpris de savoir qu’à l’époque déjà il y a des dojos partout en France, même dans de moindres petits villages. Au Cambodge où la guerre civile et la politique du régime de Pol Pot ont causé des sacrifices massifs d’êtres humains pendant plus de deux décennies, quelques personnes à Phnom Penh avaient recommencé le judo vers la fin des années 1990s dans un petit dojo misérable. Dans le petit pays nordique qu’est le Danemark, c’était une heureuse surprise pour moi de rencontrer des gens pratiquant assidûment toutes sortes d’arts martiaux partout dans le pays y compris dans de petites villes régionales. Bref, on est en présence de la propagation du judo dans le monde entier et, quelles que soient la taille de pays et sans distinction d’âge ni de sexe, les judokas s’ s'efforcent de le pratiquer sérieusement. Dans les dojos de chaque pays, on y trouve souvent la photo du Maître Jigoro KANO sur la partie centrale du mur. On y voit aussi petits enfants commencer et terminer leurs entraînements assis correctement avec les jambes pliées et saluer à l’unisson au professeur en suivant leur leader qui dit en Japonais « Sensei ni rei ». A un dojo de Phnom Penh, j’ai été très impressionné par l’attitude courtoise des enfants qui, après l’entraînement, s’avançaient l’un après l’autre devant le professeur pour lui saluer en courbette avec remerciement.
Le judo possède deux facettes essentielles: l’élément compétitif, d’une part, et d’autre part, celui qui vise à former l’esprit et la philosophie de service à la société : ce côté éthique intéresse la majorité des judokas à l’étranger. Une de motivations des parents qui emmènent leurs enfants au dojo est l'espoir qu'on leur enseigne la bonne courtoisie. Bien des judokas français s’intéressent particulièrement à ce côté-là. J’en connais quelques uns qui se sont effectivement convertis à cet élément de spiritualité. Récemment, le Gouvernement japonais a invité des représentants de la police irakienne au Japon afin qu’ils participent au programme d’entraînement de judo de nos policiers , avec l'objectif de renforcer le moral et la compétence des forces de l’ordre irakienne. Je suis moi-même impliqué dans ce programme et je me souviens bien de ce que ces Iraquiens, dont la tâche quotidienne est de lutter contre les actes de terroristes, ont exprimés leur surprise de voir le calme et la courtoisie des policiers japonais s’engageant au combat de judo et leur manière de saluer l’adversaire avec beaucoup de respect. Ils ont dit qu’ils voudraient introduire le judo dans le programme d’entraînement de policiers chez eux.
Lorsque j’observe que grâce à ce côté éthique du judo et au fait que l'exercice du judo n’est pas limité simplement à cultiver le corps physique, les pratiquants du judo dans le monde entretiennent un intérêt et un sentiment de respect envers le Japon, je pense que le judo est une importante richesse immatérielle pour le Japon.

3. Problèmes actuels auxquels fait face le Japon

Je voudrais maintenant citer trois problèmes auxquels est confronté le judo au Japon.
D’abord, il y a un problème du judo qui est devenu international. Je veux dire qu’à cause des Jeux olympiques et tournois internationaux qui ont lieu très fréquemment, et avec l’introduction des choses tel que le système de classement, on est en présence d’une tendance de plus en plus nette de donner la priorité aux compétitions ou à la victoire avec, pour résultat, de négliger le côté éthique, à savoir, la courtoisie, le respect et l’auto-discipline qui font partie intégrante de ce qu’est le judo. Ces jours-ci, on voit parfois qu’après un match le gagnant saute fièrement à maintes reprises, les poings en l'air, ou le vaincu s’accroupit longtemps sur le tapis, ceci avant même de saluer mutuellement pour terminer la compétition. Le geste du vainqueur de faire parade de sa victoire devant son adversaire montre le manque flagrant de respect pour son adversaire et constitue un aspect déplaisant. Le vaincu qui demeure accroupi malgré l’appel de l’arbitre suggère qu’il est incapable de démontrer la courtoisie rudimentaire. Il est bien regrettable que ces conduites soient observées non seulement parmi des pratiquants d’autres pays mais aussi, récemment, parmi des judokas japonais. Pour le Japon qui est le fondateur du judo, c’est très déshonorant. Dans le cas de nos compatriotes masculins, il devient de plus en plus difficile pour eux de gagner les matchs internationaux et, de plus, leurs comportements en matière de courtoisie et d’auto-discipline, sont parfois inférieurs à leur homologues étrangers. Ces jours-ci, par contre, les judokas féminines japonaises sont non seulement plus performantes dans des combats mais aussi elles savent se maintenir calmes et sereines quelque soit le résultat de match.
Le deuxième problème qui m’inquiète, c’est que le Japon tout entier semble concentrer tout son effort pour gagner des médailles, surtout médailles d’or, aux tournois internationaux. Pour le moment j’appellerais cette tendance la « doctrine de médailles à tout prix ». Bien sûr, en tant que Japonais, je souhaiterais très fortement que les joueurs japonais gagnent des médailles d’or. Pourtant, critiquer les joueurs ou les entraîneurs parce qu’ils n’ont pas gagné des médailles, cela renforcera la tendance à ladite doctrine. Trop se concentrer sur les médailles réduirait la capacité d’exercer les efforts nécessaire pour d’autres objectifs importants. Le premier problème que je viens de citer, à savoir le déclin de la courtoisie et la discipline, peut être lié, à ce deuxième problème. Il se peut même qu’il soit lié au troisième dont je parlerai tout à l’heure.
J'ai moi-même participé à des entraînements du judo en France et ailleurs. Je me suis ainsi rendu compte qu’en moyenne, la force physique et musculaire chez les joueurs dans ces pays était supérieure à celle des Japonais. De telle sorte que, si ces judokas non-japonais s’engagent dans la même quantité d’entraînement par rapport aux Japonais, et avec une instruction appropriée, il n’y aura pas de surprise à les voir vaincre les Japonais. D’ailleurs, comme dans les cas du tennis, golf, baseball ou d’autre sports, ce ne sont pas toujours des ressortissants du pays d’origine du sport concerné qui gagnent. J’aimerais donc souligner qu’il n’y a pas de raison de s’affoler excessivement même si nos compatriotes ne gagnent pas de médailles. Certes les médailles sont importantes, et il faut employer beaucoup d’efforts de recueillir des informations et entraîner nos combattants afin qu’ils gagnent autant de médailles que possible. Mais, si cela se fait au détriment d’autres efforts nécessaires, c’est un problème.
Enfin, mon trosième appréhension importante concernant le judo au Japon est la faiblesse de notre volonté et de notre aptitude à participer dans le management du judo international. Dans le processus du judo pénétrant dans le monde et avec la tendance à multiplication des tournois internationaux, les règles du jeu et la manière de conduire ou manager les compétitions ont subi des changements substantiels. La divison en catégories de poids est déjà une norme bien établie, et le système de points méticuleux mis en place pour déterminer les matchs dont le gagnant n’est pas évident.
De surcroît, les arbitres déclarent trop souvent « Mate » de façon prématurée, de sorte qu’ils coupent les conduites naturelles du Newaza ou empêchent parfois le développement de l’enchaînement de techniques. Pour de telles raisons, je dirais que la nature du judo s’est détériorée. Dans ces phases de changement, le Japon n’a exercé aucune influence substantielle. Ce serait inutile de rester à la maison et déplorer ces changements malheureux. Le Japon devrait faire beaucoup d’efforts positifs pour se prononcer sur le véritable judo et s’engager dans le management du judo international. La situation actuelle est extrêmement regrettable.

4. Quoi faire ?

Face à ces problèmes, qu’est ce que devrait faire le Japon?
De divers programmes sont en train d’être mis en application afin d'entraîner des joueurs capables de gagner par Ippon et d'obtenir plus de médailles. Il faut bien sûr continuer ces efforts. Cependant, ce que le Japon doit faire à nouveau est d’intensifier les efforts de retourner aux principes fondamentaux du judo tel qu’a été enseigné par le Grand Maître Kano et de faire en sorte que tous les judokas du monde pratiquent le judo comme un moyen de cultiver le corps et l’esprit, y compris l’éducation à la courtoisie, au respect et à l’auto-discipline. A l’époque où des pays produisent un grand nombre de judokas très forts, il n'est pas facile pour le Japon de maintenir une position incontestée. Par contre, en ce qui concerne la courtoisie et l’auto-discipline, seul le Japon, et pas un autre pays, pourra effectivement assumer le rôle du leader. Le Japon pourra bien le faire et il faut qu’il le fasse.
Pour ce faire, le Japon devra, d’abord, mettre l'accent sur l’importance de la courtoisie et l’auto-discipline dans le judo et utiliser toutes les opportunités pour donner des orientations nécessaires. L’un des moyens serait de prendre des initiatives continuelles pour organiser des séminaires ou colloques sur ce sujet, utilisant, par exemple, des tournois internationaux. En même temps, le Japon pourra, pour réaliser le « vrai judo », prendre l'initiative d’amender les règles ou d’aménager la conduite de compétitions afin que celles-ci soient menés avec une bonne courtoisie. Dans le monde du judo, si le Japon se prononce ses pensées et les réitère avec de bons arguments, il y aura beaucoup des gens et des nations qui lui prêteront l’oreille. Les judokas dans le monde sont bien intéressés, j’en suis sûr, à la pratique du judo qui fait valoir la courtoisie et l’auto-discipline. Dans de grands pays du judo tels que la France, la Corée, la Russie ou d’autres, il y en a beaucoup qui espèrent voir le « vrai judo » renaître. Comme j’ai dit tout à l’heure, dans un petit pays comme le Danemark ou le Cambodge, on peut aussi rencontrer des gens qui s’acharnent à apprendre l’élément éthique du judo. Il ne faut pas que le Japon oublie ces gens-là. Si le Japon prend l'initiative d’échanges ou coopération internationaux dans ce domaine, d’autres pays vont bien probablement se rejoindre dans ces efforts.

5. Le Rôle de l’éducation au niveau des Universités

Je remercie beaucoup votre université, L’Institut de l’Education physique et des Sports à Kanoya, pour avoir organisé ce colloque sur un thème fort important dans le contexte actuel. Sur ce sujet, je voudrais maintenant aborder le rôle de l’éducation au niveau universitaire.
(1) Le leadership de l’université dans la mission de faire renaître la courtoisie dans les arts martiaux : Face au déclin de la courtoisie dans le judo, je voudrais exprimer mon voeu que les universités ayant une faculté d’arts martiaux comme la vôtre s’en retournent aux principes fondamentaux et enseignent l’importance de la courtoisie.
(2) Contribution au mouvement de la « renaissance du judo » : Ce mouvement a été lancé il y a quelques années conjointement par le Kodokan et la Fédération japonaise du judo ayant pour but de faire revivre le côté éthique du judo. Les universités sont priées de coopérer avec la FJJ et le Kodokan dans la pursuite de cet objectif.
(3) Formation des personnels compétents aux affaires internationales du judo : Dans la tendance accrue à l'internationalisation du judo, les Japonais devront activement participer dans la gestion internationale des affaires du judo. Ceci nécessite la formation à long terme de personnes ayant à la fois une connaissance approfondie du judo et une capacité de persuasion dans des langues étrangères. Je crois que là aussi les universités avec la faculté des arts martiaux y peuvent contribuer.
(4) Coopérations en matière de l’éducation d’arts martiaux avec les pays en voie de développement: De façon générale, les pays en voie de développement manquent d’ instructeurs compétents. Les universités japonaises pourront assister ces pays avec envoi d’instructeurs ou offre de stages au Japon. Ceci pourra contribuer à l’amélioration de la qualité du judo dans le monde.