Judo International: Voix du Japon par Gotaro Ogawa

« Je Mène un Mouvement Renaissance de Judo »
Yamashita Parle de ses Activités et de ses Pensées sur le Judo

Monsieur Yasuhiro YAMASHITA, champion du monde japonais de Judo, jamais battu jusqu’à sa retraite, ne fait guère d'apparition ces jours-ci sur la scène internationale depuis qu’il a terminé son mandat de directeur de la FIJ en 2007. L’éditeur de ce site, Gotaro OGAWA, lui a posé des questions sur ses activités récentes et ce qu’il pense du Judo international d’aujourd’hui. Il apparaît ainsi que sa passion pour le Judo n’a en rien diminué. Il mène au Japon la « Renaissance de Judo, » un mouvement qui a pour but de réapprendre les enseignements du Grand Maître Jigoro KANO. YAMASHITA exprime aussi quelques inquiétudes sur de certains aspects de tendances récentes de Judo international. Derrière le mouvement Renaissance, on aperçoit certains problèmes auxquels fait face le Japon.

Profil de M. Yasuhiro YAMASHITA
Né en 1957. Le plus jeune vainqueur historique ( 19 ans et 11 mois ) du Championnat du Japon de Judo. Depuis, champion du Japon pendant 9 années consécutives. Trois fois consécutives champion du monde ( toutes catégories ) en 1979, 1981 et 1983. Médaillé d’or ( toutes catégories ) aux Jeux olympiques à Los Angeles en 1984. Record de 203 victoires consécutives avec sept matchs nuls entre-temps jusqu’à ce qu’il prenne sa retraite après la victoire au Championnat du Japon en 1985. Directeur chargé du coaching et de l'éducation du Conseil d’administration de la FIJ ( 2003-2007).
A présent, Doyen de la Faculté de l’éducation physique à l’Université de TOKAI, Fondateur et Administrateur en chef de la Société civile « The Solidarity of International Judo Education », Membre du Conseil d’administration de la Fédération japonaise de Judo.

Promouvoir une Renaissance de Judo au Japon

OGAWA: Monsieur YAMASHITA, les amateurs de Judo dans le monde entier sont très intéressés par ce que vous faites ou pensez dans ces derniers temps.
YAMASHITA: Depuis les Jeux olympiques de Sydney en 2000, je me suis efforcé de promouvoir une « renaissance du Judo » au Japon. Il s’agit d’un mouvement qui vise à réaliser les idéaux du Grand Maître et fondateur du Judo Jigoro KANO. Comme vous le savez, M. KANO a fondé le Judo en intégrant de diverses écoles d’arts martiaux de l’époque dont le but principal était d’arrêter ou vaincre l’adversaire pour créer une nouvelle discipline dont l’objectif était de développer une éducation humaine qui contiendrait de l’exercice physique, et équilibrerait formation du corps et de l’âme. Pourtant nous observons aujourd'hui au Japon pas mal de problèmes dans l’exercice de Judo. Par exemple, il apparaît aujourd'hui que le principal objectif de Judo est de gagner aux compétitions ou de gagner quel que soit le moyen. Cela mène à un état d'esprit qui considère le résultat du match comme le plus important. Avec cette tendance le comportement et le moral de Judokas ont connu une certaine dégradation. Le Grand Maître avait enseigné que l’adversaire au Judo n’était pas un ennemi: l’adversaire est quelqu’un à respecter. Si l’on regarde les compétitions d’aujourd’hui, on a parfois l’impression qu’il s’agit là d’une espèce de combat-spectacle. Pendant la dernière moitié de 1990s au Japon, j’ai vu des salles de compétitions trop sales et désordonnées avec beaucoup d’ordures, et le comportement de participants ou spectateurs s’était aggravé lui aussi.
J’ai lancé alors une mise en garde contre cette situation déplorable. Au début de nouveau siècle, à savoir en 2001, le Kodokan et la Fédération japonaise de Judo ont entamé ensemble un mouvement de Renaissance de Judo avec les quatre comités s’y attachant. J’ai été demandé et ai accepté d’assumer la présidence de l’un des comités. Plus tard ces comités ont été intégrés dans un comité unique que je dirige aujourd’hui.
Je crois fortement que l’entraînement du Judo n’est pas autre chose que l’éducation humaine. Le Judo est appelé la « voie ( do ) » de souplesse ( ju ) parce que l’on peut mettre en valeur l’effet de l’entraînement dans la vie quotidienne. Dans l’enseignement de Judo, la considération envers autres personnes est un élément important. A travers l’entraînement, on doit apprendre, par exemple, à cèder sa place à quelq’un dans le train, assisiter quelqu’un qui a des bagages lourds, faire stopper taquineries ou agressions si l’on en voit, etc. Si l’y a quelqu’un qui est battu au combat ou qui n’a pas été séléctionné, il faudra avoir de la compassion pour lui. Par ailleurs, il faut acquérir la capacité d’agir avec objectif bien fixé, de faire des efforts créatifs plus que les autres afin de devenir fort au Judo ou de s’efforcer, en tant qu’un membre de la société, de coopérer avec d’autres personnes pour générer un progrès social. Voilà des choses que l’on pourra réaliser à travers l’entraînement de Judo. Il s’agit là des leçons de « SEIRYOKU ZEN’YO (精力善用) à savoir, la meilleur utilisation de l’énergie, et « JITA KYOEI ( 自他共栄 ) » c’est à dire, prospérité mutuelle, préconisées par le Maître KANO.
Jusqu’ici, on a obtenu un certain résultat positif dans les efforts continus du mouvement Renaissance. Les salles de sports demeurent propres après la compétition, par exemple. Mais on est encore à mi-chemin. Nous devrions continuer nos efforts.

Très Occupé avec Education de la Jeunesse, Echanges internationaux et des Affaires du Doyen de la Faculté

YAMASHITA: J’ai bien d’autres affaires autres que le Judo. Je m’engage dans l’éducation de la jeunesse au sport en général. C’est ainsi qu’en tant que Président de l’Association de l’Education sportive de la Région de KANAGAWA, je m’efforce de faire valoir l’esprit de fair-play dans la vie quotidienne. Les Jeux olympiques sont les instances suprêmes des sports où le Comte Coubertin a voulu élever le corps et l’âme sains. L’idéal du Grand Maître KANO dans l’éducation du Judo aurait été le même. D’ailleurs, Le Comte Coubertin et Maître KANO entretenaient, dit-on, de bonnes relations personnelles.
J’ai servi au Conseil d’administration de la FIJ en tant que directeur coaching et éducation à partir de 2003. En 2007, moi qui n’avais jamais été battu par étrangers aux compétitions de Judo ai subi une défaite écrasante à la réélection des membres du Conseil. Pas mal des gens disaient alors que YAMASHITA serait triste de ne pas avoir la possibilité de s’engager dans la scène internationale. Or pour moi, il n’en était rien . Actuellement, j’ai fondé une société civile « La Solidarité pour l’Éducation internationale de Judo » sur la base de laquelle je promeus les échanges internationaux à travers le Judo. Ce n’est pas une grande organisation, mais cela me permet de mettre en oeuvre les échanges avec la Russie fort de mes relations personnelles très étroites avec le Premier ministre Vladimir PUTIN et échanges avec la Chine ainsi que d’assister des pays étrangers en matière de Judo. Ma mission avec cette organisation est quelque chose de très enrichissante.
Une autre affaire importante pour moi, c’est celle de professeur de l’Université de TOKAI. J’ai été récemment nommé Doyen de la Faculté de l’éducation physique qui comprend une soixantaine de professeurs, à peu près deux mille étudiants et une quinzaine de personnes. C’est mon travail officiel actuel, ce qui m’occupe beaucoup.

Je M’inquiète de la Tendance à la Commercialisation de Judo international

OGAWA: Dans ces derniers temps, de nouveaux systèmes tels que le Grand Chelem ont été introduits. Comment voyez-vous le phénomène international de Judo ?
YAMASHITA: Quand j’étais directeur de la FIJ en 2004, un Judoka junior qui a gagné la 3ème place dans la Coupe internationale de Paris s’est déshabillé le torse nu et a brandit son kimono. Par suite il a été disqualifié. Dans la réunion des coachs que j’ai convoquée ultérieurement on a beaucoup discuté là-dessus.
« Pour les participants, la compétition est leur vie elle-même. Il faut absolument gagner. Pourquoi ce qui est permis au football n’est pas toléré au Judo ? » « Faire quelque chose qui attire l’attention du public, ce n’est pas quelque chose de mauvais, parce que les médias en parlent. » disait-on. Par contre d’autres argumentaient: « Beaucoup de jeunes gens viennent voir les matchs sportifs. Ils imitent ce que font les athlètes qu’ils admirent. » « Le média et le public regardent seulement des choses spectaculaires plutôt que des choses normales ou correctes. » « Le football est le football. Le Judo et le Judo. » « Le Judo est un exercice éducatif.» Finalement ces dernières argumentations ont remporté. J’en étais content.
Le Judo est très populaire dans le monde. Mais il y a des pays pauvres et des pays où les conditions d’apprendre le Judo ne sont pas bonnes. Il faut que nous y pensions. Le système du Grand Chelem a un certaine mérite en ce sens que les vainqueurs peuvent gagner de l’argent, mais ce système risque de résulter en commercialisme. Dans de tel système, l’attention est attirée vers les meilleurs athlètes. On ne regardera pas les pays en voie de développement. Pour un développement sain du Judo dans le monde, les meilleurs athlètes sont importants, mais les autres aussi. Il ne faut pas l'oublier.
Aussi y a-t-il un danger quand gagner l’argent devient un objectif, ce qui risquerait de changer le comportement des athlètes ou ceux qui gravitent autour. En outre, participants aux compétitions peuvent tendre à faire des gestes intentionnels, sans contrôler leurs émotions, afin de faire appel aux arbitres ou aux spectateurs.
Comme le Président Rogge du CIO a fait remarquer, il faut bien penser aux athlètes dans la conduite de compétitions. Je comprends bien cela car j’étais aussi participant dans des compétitions. La FIJ devrait donc prendre bien en compte des circonstances dans lesquelles se trouvent les athlètes lorsqu’elle décide sur la conduite de compétitions.

L’Intervalle Approprié Nécessaire avant la Mise en Exécution de Nouvelles Règles de Compétitions

OGAWA: Comment voyez-vous les règles de compétitions internationales et la qualité des arbitres ?
YAMASHITA: Eh bien, j’avais jusqu’ici un doute sur les règles de compétitions. Effectivement on entendait souvent des critiques disant que « Le Judo d’aujourd’hui apparaît comme une lutte s’habillant un vêtement » « La posture des combattants est mauvaise » « Le Judo est devenu peu intéressant ». Pourtant je considère qu’il y a eu quelques améliorations depuis les Jeux olympiques de Pékin. Il a été interdit de saisir les pantalons. On met en garde maintenant contre la position avec la tête baissée sans saisir l’adversaire. Au Judo il est souhaitable de maintenir la position naturelle qui permettra de réagir à n’importe quel mouvement offensif de l’adversaire. Il n’est pas bon non plus de prendre la jambe de l’adversaire.
De plus, suite au changement récent de règles, la notion de « JOGAI » est devenue plus large et on s’aperçoit qu’il y a moins de combats poursuivis au centre de tapis. Lorsque les règles de jeux sont changés à bref délai, il n’est pas facile pour les participants de s’y adapter. Il faut du temps pour que les nouvelles règles soient comprises par les participants dans toutes les régions du monde. Des changements dans l’espace de quatre ans sont acceptables mais une modification plus fréquente n’est pas bonne. Il importe de mettre à peu près six mois pour faire connaître le changement avant la mise en application.
En ce qui concerne la qualité des arbitres internationaux, je vois des progrès grâce à de nombreux stages effectués. On peut s’en apercevoir dans des compétitions des championnats du monde ou des Jeux olympiques. Il faudra renforcer cette tendance.

Le Rôle du Japon, c’est de Pratiquer un « Beau Judo »

OGAWA : D’après vous, quels sont les défis auxquels fait face le Judo japonais ?
YAMASHITA : Il y a de nombreux Judokas dans le monde qui ont commencé le Judo après avoir observé ou été enchantés par de superbes, voire même artistiques, techniques de Judo exécutées par des Japonais. Pourtant on ne voit pas beaucoup de Judokas japonais aujourd’hui qui sont capables de montrer les techniques qui peuvent émouvoir des gens. Il appartiendrait aux Japonais de faire valoir un beau Judo inhérent au Japon. Pour cela, il est absolument important de former de bons Judokas, ce qui nécessitera d’élargir la base de ressources humaines de l’avenir et de les entraîner. Au Judo, les deux adversaires se saisissent et se battent. Mais, en ce faisant il importe qu’ils se respectent mutuellement. Ce qui est important à savoir, c’est qu’à travers l’entraînement du Judo, non seulement on apprend les techniques mais aussi on acquiert la capacité de vivre en coopération avec la société et de contribuer à la paix mondiale grâce aux expériences de combats et aux échanges humains internationaux.
(Interview éffectué le 27juin 2009)